HISTOIRE D’UNE ERRANCE MÉDICALE PARTICULIÈRE
Albane est une jeune femme de 37 ans. Dynamique, mariée et maman de deux enfants, elle est assistante vétérinaire depuis plusieurs années. En Février 2014, elle commence à ressentir des migraines de plus en plus importantes, des paresthésies au bras gauche, des douleurs auriculaires et sous orbitaires de l’œil gauche associées à une perte de sensibilité de la joue ainsi que des troubles visuels. Hospitalisée en urgences, un scanner et une IRM sont réalisés. Le diagnostic établi est celui de migraines ophtalmiques. Un traitement est mis en place. Des anti-inflammatoires ainsi que des triptants sont prescrits. Quelques mois plus tard, ne suffisant pas, un traitement de fond à base de topiramate est progressivement ajouté.
Son employeur, perturbé par tous les symptômes qu’elle présente depuis presque un an, perd confiance dans ses capacités intellectuelles et professionnelles. En décembre 2014, elle est déclarée inapte par la médecine du travail. Malgré une santé délicate et refusant l’inactivité, elle réalise aussitôt une reconversion professionnelle. Dès le mois de janvier 2015, elle s’oriente vers un Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du Sport. Malheureusement, les symptômes s’intensifient et s’accompagnent de photophonophobie, de difficulté de mémorisation, de trouble urinaires et d’une perte de poids très importante. En juin 2015, devant une faiblesse généralisée, un arrêt de travail est établi par son médecin généraliste et les responsables de la formation décident de rompre le contrat établi en début d’année.
En juillet 2015, son docteur l’oriente alors vers un neurologue pour un autre avis médical. Celui-ci, après consultation décide l’hospitalisation en urgences dans un service de Neurologie d’un hôpital de Vendée. Un électroencéphalogramme et une IRM sont réalisés dès son arrivée. Dans la nuit suivante, aux environs d’une heure du matin, Albane n’arrive pas à se réchauffer. Elle souffre depuis longtemps de frissons sans rapport avec la température extérieure. Elle se lève pour se couvrir mais affaiblie de par son état de santé, elle fait un malaise et perd connaissance. Les infirmières, qui la retrouvent au sol, appellent de suite le neurologue de garde. Celui-ci, énervé de se déplacer à cette heure de la nuit décide malgré tout de venir. En colère, il commence par balancer son portable au sol qui ne résistera pas à sa chute. Il rentre alors dans la chambre. Les infirmières ayant pris soins de replacer la patiente dans son lit sont sans voie en observant l’attitude inappropriée du médecin. En effet, il porte des coups de poing violents sur son thorax. Albane qui avait commencé à retrouver conscience peu avant l’arrivée du neurologue est stupéfaite. Elle lui demande d’arrêter. Elle pleure se demandant ce qui lui arrive. Il continue violemment encore plusieurs coups et part ensuite sans aucune explication… Albane reste pétrifiée le reste de la nuit et ne cesse de pleurer.
Le lendemain matin, le neurologue qui a fait son admission dans le service lui rend visite. Il n’est là que pour quelques jours puisqu’il doit s’absenter pour congé. Il commence par lui annoncer une bonne nouvelle : « votre IRM est tout à fait normale ! Cependant, il me semble que vous êtes affectée psychologiquement par tous ces symptômes depuis un an et donc perturbée ». Présent dans la chambre, le mari d’Albane l’interrompt et lui demande plutôt des explications sur les traces des coups présents au thorax de sa femme. Il exige avant toute chose de rencontrer immédiatement le médecin de garde. Celui-ci arrive alors, sans un mot, écoute les demandes d’explications et les incompréhensions du mari d’Albane, observe de loin les blessures puis repars…
Par la suite, un examen neuropsychologique est prescrit à Albane. Avant de partir en vacances et de transmettre son dossier à un autre confrère du service, le premier neurologue indique que certains résultats de cet examen sont « grossiers » et demande un avis psychiatrique. Ce dernier aura pour constat « patiente en état de choc post traumatique ». Au terme de l’hospitalisation qui a duré six jours, le diagnostic tombe à la lecture du compte rendu : « Migraines sous un terrain psychologique fragile » « Importance d’un suivi et soutien psychologique ». Le traitement prescrit est donc adapté aux dires des conclusions des trois neurologues qui ont eu l’occasion d’examiner, de rencontrer Albane et d’étudier son dossier.
À sa sortie, sur les conseils de la pharmacienne qui lui délivre les médicaments prescrits, elle retourne chez son médecin généraliste pour lui montrer son thorax tuméfié. Celle-ci constate effectivement un hématome de 11 centimètres de diamètre et effectue aussitôt un certificat médical. Albane est ensuite dirigée vers l’association ADAVIP qui lui conseille de porter plainte. Un avocat prend aussitôt le dossier au sérieux et propose d’assigner le neurologue en justice. Le dossier médical est exigé auprès de l’hôpital. Devant tous ces éléments, le procureur demande l’ouverture d’une enquête judiciaire…
Un mois plus tard, devant aucune amélioration de ces symptômes, son médecin généraliste décide de recontacter le neurologue qu’elle avait consulté en externe au mois de juillet. Celui-ci confirme que les symptômes sont psychosomatiques. Albane se pose des questions… et si c’était vrai ? Si quelque chose m’affectait sans que j’en prenne conscience au point de troubler le fonctionnement de mon organisme ? Le médecin adapte son traitement et demande la continuité des soins avec un psychiatre. Au cours du mois d’octobre, une hospitalisation est demandée en service psychiatrique. Le chef de service qui la reçoit au préalable lui indique que les symptômes qu’elle présente ne relèvent pas de son service et refuse son internement. Albane commence à voir le corps médical sous un angle différent. Elle se renferme, n’ose plus parler des nouveaux symptômes à son généraliste. Progressivement, une barrière s’installe, elle perd confiance en la médecine. Les douleurs sont de plus en plus fortes et constantes, les envies urinaires pressantes l’incommodent, les paresthésies évoluent et s’étendent aux membres inférieurs. Elle ne prend plus plaisir à jouer de la batterie, son loisir depuis quelques années. Sa coordination des membres supérieurs et inférieurs est très perturbée et elle régresse. Son professeur de musique s’étonne de ces difficultés à chaque cour mais honteuse, Albane ne lui parle pas de ce qui lui arrive et essaye de s’accrocher. Les propositions de jouer en public sont données à d’autres batteurs. Elle ressent une injustice, non pas dans le domaine de la musique mais dans son suivi médical. Pourquoi malgré toute cette résistance et cette volonté de réussite, son corps ne répond pas comme autrefois ? Pourquoi cela est pris pour des troubles psychosomatiques alors que je ne contrôle pas certains symptômes comme les fuites urinaires ?
Ne trouvant pas de réponse, elle décide de suivre par ses propres moyens une formation en comptabilité en achetant le contenu du programme de l’examen sur un site internet de petites annonces gratuites pour pallier au déficit de mémorisation et de l’attention qui s’aggrave. Elle est persuadée que les chiffres vont lui permettre de conserver certaines fonctions et reprendre confiance en elle. Elle veut se prouver à elle-même qu’elle n’est pas si « folle » qu’on peut le croire. En complément, elle se fait aider par un expert-comptable à la retraite plus de six heures par semaine et reprend également des cours d’anglais individuels deux heures par semaine. Sur les conseils du médecin de la CPAM, elle demande à être suivi dans un centre anti douleurs. Celui-ci démarre en janvier 2016. Devant la volonté d’Albane, le médecin rencontré en algologie repart sur le diagnostic des migraines. Malgré un suivi très rapproché et la prescription de nombreux traitements, il n’y a aucune réponse thérapeutique.
En mai 2016, des fuites urinaires impérieuses et inopinées viennent compliquer son quotidien. Elle commence à remettre en question les diagnostics posés jusque-là. Dans le même temps, son assurance bancaire la sollicite pour une mise à jour de son dossier et lui demande d’envoyer les derniers examens réalisés. Albane en profite pour étudier ceux réalisés jusqu’à présent. En photocopiant l’IRM de l’hospitalisation en 2015, elle est intriguée par une phrase mentionnée par le radiologue : « il existe une ptose des amygdales cérébelleuses de 11 mm ». Elle effectue aussitôt des recherches sur internet et est alors dirigée vers l’association APAISER S&C où elle nous écrit :
« Bonjour, Je me permets de venir vers vous car je cherche un renseignement concernant une IRM que j’ai réalisé. Je présente des migraines importantes avec douleurs au niveau de l’œil gauche, vertiges, fatigue…. J’ai déjà essayé plusieurs traitements de fond et des triptans… Lors d’une IRM de contrôle, il a été diagnostiqué une Ptose des amygdales cérébelleuses de 11 mm. Je voulais savoir si cela pouvait avoir un lien avec les céphalées. Est-ce une pathologie? On ne m’a rien dit et j’ai découvert cela sur un compte rendu hospitalier… Qu’en pensez-vous ? Si vous pouvez m’aider… En vous remerciant d’avance ».
Nous lui répondons que nous ne sommes pas médecin mais nous lui conseillons de prendre rendez-vous avec un professeur neurochirurgien référent dans la Malformation d’Arnold Chiari au plus proche de son domicile.
Entre temps, Albane obtient l’intégralité de son examen de comptabilité. Elle postule immédiatement à différentes offres d’emploi et obtient après plusieurs entretiens un poste en CDI dans ce domaine. Son arrêt de travail se termine dans quelques jours mais elle reste inquiète. Elle doute tout de même de ces facultés à reprendre un travail à temps complet.
Albane demande donc à son médecin généraliste une lettre pour un second avis sur l’IRM avant le terme de son arrêt maladie et un RDV chez un urologue. Son médecin généraliste ne voit pas l’intérêt d’une deuxième lecture de l’IRM puisque celle-ci est passée entre les mains de plusieurs neurologues et tous ont indiqué qu’elle était tout à fait normale. Persévérante, elle se retourne alors auprès du médecin du centre anti douleurs. Devant les réticences de celui-ci, elle indique que c’est le médecin de la CPAM qui lui conseille fortement cette démarche. N’approuvant pas totalement cette sollicitation, il finit malgré tout par lui rédiger le courrier tant attendu. Elle obtient rapidement un RDV en consultation privée avec le neurochirurgien référent.
Ce dernier diagnostique aussitôt à la lecture de l’IRM de juillet 2015 une Malformation d’Arnold Chiari. Il prescrit une IRM de flux complémentaire qui confirme une circulation du LCR très perturbée, et préconise l’intervention chirurgicale.
Entre temps, l’enquête a révélé que le neurologue inculpé pour coups et blessures a été placé en garde à vue. Il a avoué avoir émis une quinzaine de coups de poings…Les infirmières présentes au moment des faits ont confirmé son comportement violent lors des interrogatoires. La date du procès a lieu fin septembre au tribunal correctionnel. Soutenu par son avocat, Albane veut affronter son agresseur devant le juge pour enfin tourner la page. Elle veut faire comprendre à la cour mais surtout à ses enfants qu’elle n’est pas atteinte psychologiquement comme certains ont pu le prétendre. Pour elle, sa présence au tribunal est plus qu’indispensable pour se reconstruire.
Elle demande alors au neurochirurgien d’intervenir seulement en octobre sans lui informer de la situation. Elle se voit alors dans l’obligation de refuser le poste de travail qui lui était offert en comptabilité et de renouveler son arrêt de travail jusqu’à l’opération.
Fin août, Albane se rend chez un urologue également spécialisé dans les pathologies rares. Un bilan urodynamique indique un trouble neurologique de la vessie lié à la Malformation d’Arnold Chiari. Un traitement est mis en place. Quinze jours plus tard, l’obligation de l’apprentissage de l’auto sondage s’avère indispensable.
Mi-septembre, le procès a lieu comme prévu. La plaidoirie de l’accusé porte sur le fait qu’il n’avait pas appris à réanimer, qu’il était neurologue et pas réanimateur. Il a évoqué que la patiente avait simulé un « coma hystérique ». La cour ne retiendra aucune de ces objections. Le neurologue est alors reconnu coupable. Il doit maintenant présenter sa condamnation à l’ordre des médecins où une deuxième instruction aura lieu pour une condamnation par ses pairs courant de l’année 2017 …
Fin septembre, devant une aggravation des troubles neurologiques, le professeur et l’urologue décident d’avancer l’intervention chirurgicale. Celle-ci s’est bien déroulée et des contrôles post-opératoires indiquent un passage correct du LCR. Actuellement hospitalisée dans un centre de rééducation, ses troubles neurologiques sont suivis de près par les médecins qui l’entourent. Des examens complémentaires sont en réflexion pour le début de l’année 2017 en concertation avec une équipe pluri disciplinaire.
*Le prénom de la victime a été modifié afin de conserver son anonymat dans son parcours de soin.
« Dossier particulier ce jeudi 22 septembre à la barre du tribunal. Un médecin de garde était poursuivi pour des violences sur personne vulnérable. Les faits remontent au 31juillet 2015. Une femme, hospitalisée en urgence depuis quelques jours suite à des malaises d’ordre neurologique, est retrouvée au sol par les infirmières. Ne parvenant pas à la réveiller, elles décident d’appeler le médecin de garde.
Journal du Pays Yonnais du 29/09/2016 signé par Stéphanie Hourdeau
(extrait du OUEST France DU 10 Novembre 2016)